L’histoire du rock des années 70 regorge d’anecdotes délicieusement déjantées, où se mêlent transgression, hédonisme et pure folie. Et dans cette ère où les excès dictaient souvent la réputation, impossible de ne pas évoquer les Eagles, groupe devenu l’un des symboles les plus marquants de son époque.
Fondé en 1971 par Don Henley et Glenn Frey, le groupe incarnait l’esprit traditionnel de l’Amérique : celui des grands espaces, de la vie sur la route, et d’une mythologie moderne empruntée aux hors-la-loi des westerns. Sous leurs harmonies, on retrouvait l’influence de la contre-culture californienne, de la liberté hippie et de l’ombre plus sombre du rêve américain.
En 1975, un tournant majeur se produisit lorsque Bernie Leadon quitta le groupe, remplacé par Joe Walsh, guitariste fulgurant et figure légendaire du rock américain. Fondateur du James Gang en 1966 — un trio qui fusionnait funk et garage rock dans un style inimitable — Walsh ne tarda pas à faire planer une aura explosive au-dessus du groupe.
Dès son arrivée, Don Henley manifesta des réticences, jugeant Walsh « trop exubérant », aussi bien sur scène qu’en dehors. Mais une fois intégré, Walsh devint une pièce essentielle du son des Eagles, y insufflant ses solos saisissants et son énergie électrique. Après un an et demi en studio, naquit le chef-d’œuvre : Hotel California (1977). Numéro un des charts, auréolé de deux Grammy Awards, l’album propulsa le groupe — et Joe Walsh — dans une autre dimension.
Le succès attisa encore davantage l’esprit libertaire du guitariste. Entre ses relations avec Stevie Nicks, ses soirées explosives avec Keith Moon, ses collaborations avec The Who et son amitié avec John Belushi, Walsh devint une véritable incarnation du rock extrême. Dans une interview chez Conan O’Brien, il résuma son ami Belushi en une phrase : « Il pouvait être terrifiant par moments, mais incroyablement drôle à d’autres. »
L’un de leurs épisodes les plus célèbres prit place à Chicago. Refusés à l’entrée du luxueux restaurant de l’Astor Towers parce qu’ils portaient des jeans, les deux compères décidèrent de contourner le règlement… à leur façon. « On est allés dans un magasin, on a acheté de la peinture en aérosol et on a peint nos jeans en noir », se souvenait Walsh. Le stratagème fonctionna : ils furent acceptés sans broncher. Mais en quittant la table, surprise générale : les chaises étaient devenues noires, tandis que leurs pantalons étaient redevenus des jeans ordinaires, la peinture ayant lâché.
Après ce dîner déjà mémorable, Belushi et Walsh retournèrent à l’hôtel Gold Coast, où séjournaient les Eagles. Là, selon Walsh, « on a complètement saccagé ma suite ». Le lendemain, une facture glaçante de 23 000 $ attendait le groupe, conséquence directe des dégâts.
Dans le documentaire The History of the Eagles, Glenn Frey résuma cet épisode d’un ton amusé mais résigné : « C’était la nuit mémorable où Joe et son ami John Belushi ont établi le record du monde du plus grand nombre de chambres d’hôtel détruites. »
Une histoire parmi tant d’autres, mais celle-ci résume à elle seule l’essence du rock des années 70 : sauvage, insoumis, flamboyant — à l’image de deux légendes qui ont, le temps d’une nuit, transformé Chicago en décor d’épopée rock'n'roll.

































