Lorsque Pink Floyd atteint la renommée mondiale avec la tournée Animals en 1977, Roger Waters ressent un profond malaise. Ce sentiment de déconnexion vis-à-vis du public, doublé d’obsessions personnelles, devient la matière brute qui donnera naissance à l’un des plus grands albums conceptuels de l’histoire du rock : The Wall. Avec cette œuvre sortie le 30 novembre 1979, Waters transforme son désenchantement en un concept claustrophobe, où une rock star désabusée sombre dans l’isolement et l’agitation intérieure, symbolisés par un mur de briques blanches qui se referme inexorablement sur elle.
La pochette, volontairement dépouillée — sans titre ni nom de groupe — représente ce mur, métaphore de la barrière psychologique que Roger Waters érige entre lui et le monde. Mais derrière cette froideur visuelle se cache une lutte intime, dont la deuxième partie de l’album donne une illustration bouleversante.
Parmi les morceaux phares, Hey You occupe une place centrale. Waters le décrit comme « un cri, un appel à l'aide au monde entier ». À travers cette chanson, le protagoniste Pink, retranché derrière son mur, cherche désespérément à tendre la main. « Le mur est trop haut, comme vous pouvez le voir », explique Waters, avant d’évoquer une menace plus inquiétante encore : « Les vers qui lui rongeaient le cerveau. » Ces vers deviennent un symbole de décadence et de décomposition, représentant le destin inévitable de celui qui s’isole trop longtemps des autres. « Mon idée était que si l’on s’isole trop des autres êtres humains et du monde, on finit par se décomposer physiquement », confie-t-il.
Le dernier couplet de Hey You condense à lui seul les thématiques récurrentes de Roger Waters : « Ensemble nous sommes debout, divisés nous tombons. » Cette tentative désespérée de reconnexion échoue pourtant : Pink réalise qu’il n’y a personne à l’extérieur du mur pour l’entendre. Un constat tragique, qui illustre à la perfection la dualité de The Wall : à la fois œuvre cathartique et fresque universelle, où la douleur intime de Waters rejoint les tourments collectifs d’une génération.